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Exposition : « Dakar, Dakar », dialogue entre sculptures et peintures

INÉDIT. La galerie parisienne Magnin-A met en scène les sculptures élancées de Ndary Lo et les tableaux colorés et graphiques d’Assane N’Doye, tous deux disparus, il y a peu. « Dakar, Dakar », ou la rencontre posthume de deux artistes. La galerie Magnin-A présente le travail de deux artistes sénégalais trop peu exposés en France. Tous les deux…

INÉDIT. La galerie parisienne Magnin-A met en scène les sculptures élancées de Ndary Lo et les tableaux colorés et graphiques d’Assane N’Doye, tous deux disparus, il y a peu.

« Dakar, Dakar », ou la rencontre posthume de deux artistes. La galerie Magnin-A présente le travail de deux artistes sénégalais trop peu exposés en France. Tous les deux représentent le corps humain en mouvement, mais dans une vision radicalement différente. Aux sculptures de Ndary Lo (1961-2017), marcheurs en fer longilignes – que l’on a tant comparées à Giacometti – hommes aux bras tendus vers le ciel ou corps de femmes en buste, répondent les tableaux d’Assane N’Doye (1952-2019), des corps féminins tout en rondeurs, ondulations et couleurs flamboyantes.

Dès l’entrée, le regard est happé par la grande sculpture d’un homme qui semble s’envoler, puis se pose et évalue la taille d’un immense homme longiligne. Ndary Lo travaille le fer à béton, assemble et soude, dans un style épuré. Les couleurs monochromes sont dictées par les matériaux, fer à béton et mastic. Dès ses débuts, Ndary Lo a travaillé à partir de matériaux usagés – têtes de poupées, capsules de sodas, lampes à pétrole, fer à béton, fers à cheval… Rapidement, le fer à béton devient sa matière privilégiée. Il fait ainsi figure de précurseur d’un mouvement très tendance aujourd’hui, le recyclage, qui traverse le monde de la création mais aussi la société.

Sur les cimaises, la couleur l’emporte. Assane N’Doye privilégie la gouache, l’encre souvent sur papier pour dessiner ses profils. Entre figuration et abstraction, ses personnages racontent une scène de la vie sénégalaise.

Des tableaux, particulièrement originaux par leur facture, qui laissent transparaître une filiation avec l’École de Dakar, un mouvement artistique encouragé par le président sénégalais Léopold Sédar Senghor.

Deux artistes qui interrogent à la fois la tradition et la modernité sénégalaises

Ce dialogue posthume interroge la tradition et la modernité sénégalaises, mais aussi la puissance des racines. Alors qu’ils sont presque de la même génération, les deux artistes ne se sont jamais rencontrés. Tous deux sont sortis de l’École des arts de Dakar. Là, les chemins divergent. Assane N’Doye a poursuivi sa formation et sa carrière en France puis aux tournants des années 1990 aux États-Unis alors que Ndary Lo a vécu à Dakar, même si ses activités artistiques l’ont conduit de par le monde. Loin de ses racines, Assane N’Doye s’en inspire alors que Ndary Lo, qui vit à Dakar, cherche à s’en affranchir.

Reconnu internationalement, et célébré dans son pays, Ndary Lo a remporté deux fois le grand prix Léopold-Sédar-Senghor de la Biennale de Dakar (Dak’art) en 2002 et en 2008, avec ses installations La Longue Marche du changement et La Muraille verte. À Paris, Hosties noires, une de ses œuvres majeures rendant hommage à l’ouvrage du même nom de Senghor est justement présentée au musée du Quai Branly, dans le cadre de l’exposition « Senghor et les arts ». On a pu aussi le découvrir sur l’esplanade du Palais des papes à Avignon à travers Prière universelle, une sculpture monumentale de plus de 7 mètres de hauteur qu’il avait réalisée lors d’une résidence en 2002, à la Fondation Blachère.

Les œuvres engagées de Ndary Lo

Dans la galerie parisienne, on retrouve des sculptures majeures de l’artiste, dont l’homme à la démarche fluide, un géant de 2,4 m, un groupe en prière, un penseur, mais aussi un Tronc de Taaru (« belle », en wolof) et des arbres aux mains qui se tendent vers le ciel. « L’œuvre de Ndary Lo est peuplée de sculptures, majoritairement en fer à béton soudé, que l’on a trop souvent tendance à réduire à ses “marcheurs” alors que l’amplitude de sa réflexion est vaste, tant dans la dimension, de l’infiniment petit à l’infiniment grand, que dans ses sources d’inspiration et thématiques », insiste Sylvain Sankalé, avocat collectionneur et critique d’art.

« Mes sculptures, je les appelle nit (qui signifie « personnage » en wolof). Je ne sais pas consciemment vers où elles marchent mais ce qui est important pour moi, c’est leur mouvement. Je suis obnubilé par le mouvement, il faut que cela bouge », expliquait l’artiste. Pour mieux le découvrir, il est possible aussi de se plonger dans le livre publié en 2021, Ndary Lo, le démiurge, aux éditions Les 5 continents.

Beaucoup moins connu au Sénégal, Assane N’Doye est pourtant des deux artistes celui qui reste visuellement le plus proche de son pays de naissance. Parti à l’âge de 22 ans pour poursuivre ses études en France, à l’École nationale d’art décoratif d’Aubusson. Rapidement, il intègre un atelier d’artistes spécialisés dans le dessin textile. Il poursuit son travail d’artiste sous de multiples formes et développe, à partir de la fin des années 1970, un travail de peinture puisant dans ses racines. Artiste engagé, en 1982, il cofonde et préside l’association Wifredo Lam (célèbre peintre cubain) dont le mot d’ordre était « se faire entendre », afin de rendre aux artistes non européens la place qu’ils méritaient dans l’art contemporain en France.

Assane N’Doye, jamais loin de ses racines

Nicole Guez, sociologue et critique d’art, écrira de lui qu’il est « l’un des artistes les plus doués de sa génération […], il a notamment créé des affiches à la fois pour Amnesty International et le Centre Pompidou, illustré des livres, réalisé des maquettes d’impression sur tissu pour de grandes maisons de couture parisiennes… Il peint, dessine, colorie avec la même aisance et passe en se jouant du papier à la toile ».

Assane N’Doye, 1992, Los Angeles, États-Unis.  © Droits réservés

Il participe régulièrement à des expositions. Dans le cadre du programme Fulbright, Assane N’Doye est invité en tant qu’artiste à l’Université de Californie, à Los Angeles, en 1990-1991. Finalement, il restera à Los Angeles et travaillera notamment pour les décors des studios de cinéma. En 2014, il choisira de revenir en France.

Assane N’Doye, Le Trophée, 1996. © Studio Louis Delbaere, Courtesy A. N’Doye & Galerie MAGNIN-A, Paris
Assane N’Doye, The Woman Tree, 2008.  © Studio Louis Delbaere, Courtesy A. N’Doye & Galerie MAGNIN-A, Paris

Dans la galerie, on découvre ses peintures aux couleurs chatoyantes, des femmes le plus souvent de profil, avec des bras et des cous qui s’allongent, des corps tout en courbes. « La femme joue un rôle important dans mes peintures, expliquait l’artiste. Elle est synonyme de création et symbolise la sécurité, la protection, les joies de l’enfance, la fécondité, la durée. » Il peint le plus souvent sur papier, à la gouache et à l’encre, probablement avec des pochoirs, fait vibrer les couleurs. Lui qui ne vit plus au Sénégal, reste imprégné de ses racines. Les femmes vêtues de pagne, portent des bracelets sénégalais en raphia ou des ceintures de perles et des cauris sont parfois éparpillés sur la toile. « Si je devais définir ma peinture, je dirais qu’elle est à la fois abstraite et figurative. Elle participe d’une époque et lui assurera une permanence quand elle deviendra le regard d’une génération passée », analysait-il. Une observation prophétique qui se constate aujourd’hui dans les ventes aux enchères.

L’exposition « Dakar, Dakar », nous propose une belle rencontre posthume entre deux grands artistes sénégalais.

Auteur : admin
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